jeudi 3 décembre 2009

DES GRAVATS

Je passe devant l’immeuble d’une amie et je vois devant, posés en tas, un canapé, une armoire ancienne, des livres, des jouets d’enfants. Dans ce tas, je reconnais des objets, et je m’inquiète, car une violence se dégage de cet amas abandonné sur le trottoir. Je fais appel à l’ange, mais il ne répond pas. Avec le cœur serré, je prends mon téléphone dans le sac et appelle l’amie qui habite l’immeuble. Elle répond d’une voix cassée. Mes craintes se confirment. Ce sont bel et bien ses objets, entassés devant l’immeuble. Connaissant la répugnance de mon amie à l’acte de se défaire des choses, j’imagine l’état dans lequel elle doit se trouver.

Héroïquement, je monte. Sur la rampe de l’escalier, j’aperçois mon ange en pleine conversation avec un autre, bien plus fatigué que lui. Ils ont cette faculté de s’asseoir sur le fil des choses, les anges, comme s’ils flottaient imperceptiblement au-dessus. Je passe sans marquer le fait que je les vois, ce ne serait pas poli, mais je chope un mot de leur conversation. L’autre ange est celui de mon amie, et il dit qu’elle est en deuil pour son… Canapé.

En effet, elle est prostrée par terre et j’essaye de comprendre ce qu’il s’est passé. Elle marmonne des explications, je comprends que son homme en a eu marre, et qu’il a jeté de force toutes ces choses que l’on voit là sur le trottoir. Je m’avance sur le balcon, je regarde le trottoir cinq étages en dessous et vois le canapé en équilibre se dandiner sur les autres affaires. C’est comique. Mais mon amie le vit comme une mort.

C’est là que les deux anges rentrent par le balcon et m’aident à l’emmener sous la douche. Mon amie a besoin d’un bain froid pour se sortir de l’état catatonique où elle se trouve. Elle crie sous l’eau, mais au moins cela la fait réagir. Je l’aide à se sécher, elle se laisse faire comme un bébé, je l’assieds devant sa coiffeuse où s’entassent des fringues de petite fille, des crayons, des cassettes vidéo. Je lui prends les cheveux, je la peigne et je lui dis.

Tu sais, ce n’est pas la fin du monde, un canapé est juste un canapé, et même si ton arrière grand-mère s’est assise dessus, ce n’est pas cela qui la rend au monde des vivants, mais plutôt le souvenir impalpable que tu as d’elle. Les souvenirs sont faits de la même matière que les anges, transparente mais complètement présente, et c’est cela que tu peux cultiver, car ça ne prend pas de place, tandis que les canapés…

Je lui prends les cheveux, je lui fais un chignon et je lui explique qu’en Hongrie, les femmes portent les cheveux en arrière dès qu’elles se marient. Mon amie sourit. L’ange a rattrapé la brosse pour lui. L’autre s’est écroulé de fatigue.

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