dimanche 11 septembre 2011

BOUÉE BLANCHE EN MER TROUBLE

Elle est vieille, mon ange, comme une vieille fille dont la jouissance s’est enfouie. Ses cheveux sont gris et ses yeux se roulent dans les orbites, comme si elle se noyait constamment en elle-même. Assaillie par de multiples dangers, soldats qui tuent obéissant à des ordres venus de haut, escrocs qui ne respectent pas les contrats, pirates surgis du néant, inconnus d’une sensualité qui fait désordre. Peut-être blessée par un mari séduisant. Elle parle comme un livre, dans l’espoir que les phrases bien faites garantissent le bon train de la vie et des choses. Elle s’y accroche comme à des wagons qui roulent à une très grande vitesse. Elle se cramponne à ces phrases bien faites et bien prononcées, mais rien à faire, la noyade la guette.
Alors, elle prépare à manger, elle va à l’Eglise, elle prie. En conjurant tout ce qui la menace, mon ange, va vite l’accompagner à la maison de Dieu.
Et quand elle te voit, elle ouvre un grand sourire. C’est ce que je garderai d’elle.

PRENDS-MOI DANS TES BRAS

Oh, mon Ange, c’est aujourd’hui qu’il faut me prendre, me nicher dans des ailes duveteuses, caresser chacune de mes écailles, enlever petit à petit l’angoisse de mes cellules. Prend-moi et souffle sur ma peau ton odeur chaude et réconfortante, défait un à un les noeuds qui me serrent, promets-moi le présent de mes rêves, ici et maintenant. Prend-moi sous ton aile à l’abri des méchants, de ceux qui me tueront, de ceux qui me laisseront seule sur un trottoir, dans l’ostracisme. Couvre-moi de baisers et de caresses, rend-moi mon existence libre, mon droit à la vie, mon éternité. Ange, seul toi, compagnon invisible, peut le faire. Et je sais que tu m’entends. Je sais aussi que la tâche est difficile. Tout n’est pas noir, tout n’est pas blanc. Il existe l’autre, celui qui me torture. L’extérieur, le marécage. Une boue que je n’ai pas inventée. Une société de malades. Mais je crois à l’amour, ange, le tien, le mien, et au fond, pourquoi pas la paix possible sous la tempête.
Aide-moi mon ange, à ne pas perdre le cap. J’ai perdu un bout de voile, la déchirure, j’ai perdu mon port d’attache, je suis face maintenant à un nouvel océan, mais je ne suis plus à la dérive.

mardi 6 juillet 2010

CHOPIN

L’ange est aujourd’hui dans un état qui me semble être celui où devraient toujours être les anges, d’une lenteur caressante, il se prélasse sur son nuage en comptant ses replis, opérant des mouvements avec ses ailes qui délicatement épousent la forme même du nuage, sans aucun à-coup, heurtement ou obstacle à la perfection du rythme même de cette vie changeante à laquelle nous sommes tous exposés, lui compris, sauf qu’avec grâce. Je le contemple comme un cadeau aussi beau que neige qui tombe, aussi fin qu’un murmure amoureux, et je me laisse bercer par cet air qu’il exhale (seuls les anges chantonnent Chopin) : La Berceuse, opus 57. C’est son jour de repos.

CHOPIN

L’ange est aujourd’hui dans un état qui me semble être celui où devraient toujours être les anges, d’une lenteur caressante, il se prélasse sur son nuage en comptant ses replis, opérant des mouvements avec ses ailes qui délicatement épousent la forme même du nuage, sans aucun à-coup, heurtement ou obstacle à la perfection du rythme même de cette vie changeante à laquelle nous sommes tous exposés, lui compris, sauf qu’avec grâce. Je le contemple comme un cadeau aussi beau que neige qui tombe, aussi fin qu’un murmure amoureux, et je me laisse bercer par cet air qu’il exhale (seuls les anges chantonnent Chopin) : La Berceuse, opus 57. C’est son jour de repos.

samedi 6 février 2010

DECROISER LES BRAS

Après avoir raccroché le téléphone, je reste interdite et triste. Je le regarde, mon ange, et surprise, je le vois fâché, le sourcil froncé, la mine boudeuse, les ailes en pagaille. Qu’est-ce qu’il y a ? je lui demande, sachant pertinemment que s’il est dans cet état, ce n’est nullement sûr qu’il me réponde… Silence, en effet. Je reviens à mon combiné téléphonique, presque prête à rappeler, quand l’ange me l’arrache des mains d’un geste violent qui ne lui sied pas. Je m’étonne, ça doit être grave, alors ! Non mais ! Quand est-ce qu’elle va comprendre ? Mais quoi ? Quand est-ce que cette femme va comprendre que personne ne viendra la sortir de là ? Personne, ni le chevalier vaillant, ni sa maman, ni le sauveur chrétien, ni le messie hébraïque, ni la médecine orientale, sûrement pas l’occidentale, trop compromise avec la rentabilité. Quand est-ce qu’elle va comprendre que mon collègue, abattu, a décidé de faire grève ? Qui, son ange à elle ? Ben, oui, évidemment, et pour cause ! Il est là, 24 heures sur 24, présent, mirifique, avec des ailes toutes brodées de perles colorées, il transpire, il s’avance à quatre pattes, la hisse, l’attache à une corde pour la sortir du puits, la corrobore dans ses efforts de manutention du désir de vivre, bref, il fait tout ce qu’il peut et encore d’avantyage, et elle semble superbement l’ignorer ! C’en est trop, il s’est mis en grève ! Mais… je ne savais pas que vous aviez le droit de grève. Encore heureux ! Imagine les abus qu’on subirait ! Déjà qu’on a pas le droit d’aliénation… C’est à dire ? On ne peut pas partir, c’est tout. On ne peut pas se détacher de nos protégés, car nous sommes eux mêmes, tu comprends ? Et eux ne peuvent pas nous congédier. Mais souvent, ils font semblant de ne pas nous voir, ou ils feignent l’indifférence tant et si bien qu’elle s’installe dans leurs cœurs. Ça, ça fait des anges qui s’ennuient… Mais comme elle, qui insiste et se complait dans la souffrance du nombril… C’est décidemment fâcheux ! Parce que ça épuise. Il a fait le clown, mon collègue, il a dansé la samba, joué du tambour, fait de la danse contemporaine, bref, il a fait des pieds et des mains pour la convaincre de son droit à l’existence, de sa chance, de la beauté du trajet… Rien. Elle préfère la moquette, les larmes, la soirée devant la télévision ; elle préfère faire les yeux de poussin triste, se laisser aller à la pitié de soi… De moi, oui !

Je l’arrête dans sa véhémence. Oh, là, l’ange ! Un peu de modération ! T’as bu ou quoi ? D’où te viens cette virulence ? Je me demande si ce n’est pas un peu de la coquetterie ! Car en fin de comptes, on parle là d’échec d’ange ! Il ouvre alors des yeux de tigre, d’une rougeur effrayante, la chambre se noircit, le plafond gronde, ses ailes déployées balayent mes pauvres affaires mal rangées, et je me couvre les yeux de mon avant-bras pour échapper à une lumière violette et aveuglante qui émane de lui. J’ai touché le point faible !
Cela dure quarante cinq secondes d’éternité. Au bout, mon cœur gèle. Non, je n’ai pas touché le point faible. J’ai blasphémé.

jeudi 14 janvier 2010

LA FEMME ET LE PETIT GARÇON

Je te vois tourner la tête à chaque fois qu’elle passe, descendant la rue avec ses lèvres recouvertes d’un rouge orangé, ses beaux manteaux d’hiver design et sa taille imposante, la main dans la main d’un petit garçon noir. Tous les matins, on les croise en chemin vers l’école. C’est sûrement toi qui me pousse à lui adresser un sourire à cette femme, depuis plus d’un an, durant lequel j’ai vu le petit garçon grandir, descendre des épaules de sa mère, et marcher désormais par ses propres moyens. J’aimais bien pourtant la voir en maman cheval, grande, blanche, alsacienne peut-être, ou de Haute Loire, une femme sans doute arrivée à la quarantaine sans enfant, sans avoir trouvé l’homme de sa vie, une femme de carrière, beaux habits et fierté. Je l’aime bien, cette femme courageuse qui a décidé, j’imagine, d’adopter un enfant en Afrique, qui l’élève seule, qui s’élève au rang des mères célibataires dont le désir de se donner à un petit être est plus grand que le réalisme de leur condition.

Mais je me demande, mon ange, si quand tu tournes ta tête c’est envers elle, ou envers le petit garçon qui voit le monde de haut, ce monde en béton et métal, si diamétralement opposé à la savane qui l’a vu naître.

Quand viendra le jour où les mots se colleront aux choses et qu’il voudra savoir où sont ses vrais parents, et que cette femme immense et blanche devra admettre que la biologie crie parfois plus fort que l’amour détaché, c’est là mon ange que ton travail commencera à se corser. Recoudre les fils interrompus d’une filiation désirable, suggérer que l’on peut accepter l’inconnu, le non-dit, l’abandon, lui apprendre à ranger sa douleur, comme dirait l’écrivain, dans un petit coin de son cœur, et lui montrer que l’on doit s’en nourrir sans rage, ah l’ange… quel métier le tien !

vendredi 8 janvier 2010

VANITÉS

Aujourd’hui c’est moi qui te suis chez le coiffeur, au magasin de bijoux, à la boutique de maquillage choisir un fond de teint qui cachera tes cernes, c’est vrai, récemment tu as beaucoup de cernes sous tes yeux adorés. Plus vite, plus vite me dis-tu, le temps presse, les congés des anges sont plus rapides qu’ils ne le voudraient. On vole. Que penses-tu de mes boucles ? me demandes-tu, presque désespéré au milieu des nuages. Mais tu es si beau, mon ange, si particulièrement tendre et amical, tes yeux transparents sont sublimes, et tes boucles encadrent ton visage comme un pourtour doré. Tes joues que l’on va rosir de cette poudre minérale respirent la générosité de ton être, et invitent les passants à de bruyants baisers. Les cernes, eh bien, sont signe de ton acharnement, ton incurable espoir, mon ange, qui dit : il n’y a jamais de cas perdu.