samedi 5 décembre 2009

BRIS D’UN VERRE

Nous sommes invités à dîner en famille. Dans ces cas-là, je pense que tu viens aussi. Non pas que la famille soit dangereuse, elle l’est de moins en moins d’ailleurs, mais quand même. Je préfère être bien protégée, on ne sait jamais, si un brin de méchanceté se perçait un chemin au milieu d’une bonn’éducation irréprochable, je ne saurais pas comment me défendre. Ou vice-versa, d’ailleurs, que dis-je, si c’était moi le méchant et ne pouvais pas me retenir… Décidemment, il vaut mieux que tu sois là.

Nous arrivons à l’heure, bien habillés, conformes. Tout se passe bien, les sourires, les échanges aimables. Les enfants sont un petit peu bruyants, mais cela est dans la mesure de l’acceptable. Heureusement que tu es là, ne serait-ce que pour témoigner de la parfaite élégance avec laquelle on s’ignore, au fond. Je me retiens, mais je bouillonne. J’espère que cela ne se voit pas, quoiqu’au fond, j’aimerais crier.

Tout d’un coup, dans la salle de bains, nous entendons un bruit de verre. C’est joli d’ailleurs ce bruit, un peu comme une mélodie jouée par des clochettes, mais très rapide, en concentré. Quelque chose s’est brisé. Des éclats de voix suivent ceux du verre. C’est Bonne-Maman qui gronde sa petite fille. Mon cœur se serre; chez nous on disait : suerte ! quand quelque chose se cassait, et cela nous a toujours consolés. On croit que si un verre se casse, cela est un signe porteur de chance, car une mauvaise onde, au lieu de se briser sur nous, se dévie sur un objet, et comme ça, nous sommes épargnés. Tu dois en savoir quelque chose, maintenant que j’y pense, mon ange ? C’est peut-être même une de tes spécialités ? Eh bien, là, on avait donc encore une fois échappé belle dans la salle de bains, et voilà que Bonne-Maman gronde !

Mais c’est qu’elle n’est peut-être pas au courant du travail des anges ?

Je me lève de table, en demandant le pardon général, et me dirige vers le terrain de l’incident. Mon ange, fais quelque chose, occupe toi de la Grand-Mère, je vais voir la petite qui baigne en larmes.

- C’était un souvenir que j’avais depuis que j’étais toute petite ! Je ne veux pas qu’on le jette à la poubelle ! Je suis sûre que je vais l’oublier ! Je ne veux pas l’oublier !

- Mais c’est le souvenir qui compte, ce n’est pas le verre.

- Mais si, c’est le verre, il y avait mon prénom écrit dessus. Je veux garder les débris ! Je ne veux pas qu’il finisse à la poubelle.

- Qui est-ce qui te l’avait offert ?

- Ma maman !

- Elle t’en trouvera un autre !

- Ce ne sera pas le même !

Devant cet argument imparable, je décide de compatir et propose un enterrement des débris. Si ce n’est pas une solution, au moins c’est un acte digne de son chagrin. Elle accepte et n’arrive pas à retenir un grand bâillement.

- C’est la fatigue aussi, dis-je.

Je reviens au dîner. Tous les convives semblent touchés par l’incident. Je me dis que l’ange a su, encore une fois, dévier l’onde et nos cœurs touchés se réunissent pour une fois, autour de ce chagrin de petite fille.

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